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Détention provisoire : quelques précisions de la Cour de cassation

Pénal - Procédure pénale
27/04/2021
Droit de se taire, conditions indignes de détention, délai à respecter. Dans un arrêt du 13 avril 2021, la Cour de cassation s’est penchée sur ces différents points. Focus.  
Un homme est mis en examen pour viol et placé en détention provisoire au centre pénitentiaire de Seysses. Il saisit la chambre de l’instruction d’une demande de mise en liberté, en faisant état notamment de conditions indignes de détention. La chambre, qui déclare cette demande recevable, sursoit à statuer et ordonne des vérifications sur ses conditions de détention.
 
Le rapport du chef de l’établissement transmis précise que l’intéressé est affecté dans une cellule de 10,7 m², soit 4,45 m² par détenu, hors sanitaires, occupée par deux personnes et dont l’état général est globalement très correct, hormis la dégradation d’une partie des joints du haut de la fenêtre. La température est conforme à celle exigée dans les lieux d’habitation (au moins 19°) et le détenu dispose normalement d’eau chaude, de deux couvertures et de vêtements. Enfin, il ne s’est jamais plaint de son codétenu, participe aux activités sportives et bénéficie d’une promenade quotidienne d’une heure.
 
La chambre de l’instruction rejette la demande de mise en liberté. L’intéressé forme un pourvoi et fait valoir qu’elle :
- ne l’a pas informé de son droit de se taire au cours des débats ;
- s’est bornée à faire référence aux charges suffisantes constatées par la chambre de l’instruction dans son arrêt de mise en accusation, sans s’assurer de l’existence de telles charges au moment où elle statuait ;
- n’a pas respecté le délai de 20 jours alors qu’elle était appelée à statuer en application de l’article 148-1 d’une demande de mise en liberté formée par un accusé renvoyé devant la cour d’assises ;
- n’a pas considéré comme indignes les conditions de détention, ainsi elle n’a pas tiré les conclusions qu’imposaient ses propres constatations.
 
La Cour de cassation va répondre point par point dans un arrêt du 13 avril 2021.
 
Sur les charges suffisantes existantes à l’encontre de l’intéressé, la chambre de l’instruction qui fait référence à son arrêt de mise en accusation, en l’absence d’élément nouveau, n’a méconnu aucun texte.
 

Une QPC renvoyée sur le droit de se taire
Sur le droit de se taire, la Chambre criminelle a renvoyé au Conseil constitutionnelle une QPC relative à l’article 148-2 du Code de procédure pénale. Elle considère que la question présente un caractère sérieux en ce que « pour statuer, en application des articles 141-1 et 148-1 du Code de procédure pénale, sur une demande de mainlevée totale ou partielle du contrôle judiciaire ou sur une demande de mise en liberté, la juridiction saisie doit vérifier si les faits retenus à titre de charges dans la décision de renvoi justifient le maintien de la mesure de sûreté, les observations éventuelles du prévenu ou de l’accusé recueillies à cette occasion étant de nature à influer sur la décision des juges saisis au fond ». Réponse attendue des Sages. 
 
Pour mémoire, le Conseil constitutionnel est intervenu récemment sur l’information du droit de se taire. Il a jugé que sont contraire à la Constitution :
-  les dispositions de l’article 396 du Code de procédure pénale relatives à la procédure de présentation devant le JLD dans le cadre d’une comparution immédiate, faute d’information du prévenu sur son droit de se taire (v. Comparution immédiate et droit de se taire : censure du Conseil constitutionnel, Actualités du droit, 5 mars 2021) ;
- les dispositions de l’article 199 du Code de procédure pénale qui ne prévoient pas que la personne mise en examen soit informée de son droit de se taire (v. Chambre de l’instruction et droit de se taire : le Conseil constitutionnel a tranché, Actualités du droit, 9 avr. 2021).
 

La Cour de cassation précise alors que l’article 23-5, alinéa 4, de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoit que lorsque ce dernier est saisi, la Cour de cassation sursoit à statuer jusqu’à ce qu’il se soit prononcé. « Il en va autrement quand l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé ». Tel est le cas en l’espèce. Et elle affirme que si cet alinéa peut conduire à ce qu’une décision définitive soit rendue dans une instance à l’occasion de laquelle le Conseil constitutionnel a été saisi d’une QPC et sans attendre qu’il ait statué, dans une telle hypothèse, ni cette disposition ni l’autorité de la chose jugée ne sauraient priver le justiciable de la faculté d’introduire une nouvelle instance pour qu’il puisse être tenu compte de la décision du Conseil constitutionnel.
 
S’agissant du grief, elle rappelle également une jurisprudence du 24 février 2021 selon laquelle « l’absence d’information donnée à la personne qui comparaît devant la chambre de l’instruction saisie du contentieux d’une mesure de sûreté de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire est sans incidence sur la régularité de la décision de la chambre de l’instruction et a pour seule conséquence que les déclarations de l’intéressé ne pourront être utilisées à son encontre par les juridictions appelées à prononcer un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité ». (Demande de mise en liberté et droit de se taire : précisions de la Cour de cassation, Actualités du droit, 26 févr. 2021).
 
 
Dépassement du délai autorisé
Sur le délai de vingt jours prévu à l’article 148-2 du Code de procédure pénale, la cour d’appel précisait que le 23 décembre 2020, le détenu qui avait fait l’objet d’un arrêt de mise en accusation en date du 30 avril 2020, a formé une demande de mise en liberté, faisant état, notamment, de conditions indignes de détention. Par arrêt avant dire droit, en date du 5 janvier 2021, la cour a ordonné des vérifications à la suite desquelles elle a statué par un arrêt du 22 janvier 2021.
 
Ainsi, en répondant au-delà du délai de vingt jours, la Chambre n’a méconnu aucun des textes. En effet, toute juridiction a l’obligation de faire procéder aux vérifications sur les conditions de détention, dès lors que les allégations relatives à leur caractère indigne répondent aux exigences requises (v. Surpopulation carcérale : la France épinglée par la CEDH, Actualités du droit, 6 févr. 2020 et v. Libération d’un détenu pour conditions de détention indignes : c’est désormais possible !, Actualités du droit, 8 juill. 2020). Et en l’absence de mécanisme mis en place par la loi dans le délai imparti par le Conseil constitutionnel (v. Une loi attendue pour faire respecter la dignité humaine en prison, Actualités du droit, 2 oct. 2020), Ce délai peut être dépassé « afin de satisfaire à l’effectivité du droit au recours ainsi exigé, la juridiction ayant alors l’obligation de statuer sur la demande de mise en liberté dans un délai raisonnable ».
 
Pour mémoire, le Conseil constitutionnel avait sommé le législateur d’adopter une nouvelle loi permettant de faire respecter le droit à la dignité des détenus avant le 1er mars 2021. Cette loi est intervenue le 8 avril 2021, prévoyant une nouvelle voie de recours de nature à garantir le droit à des conditions dignes de détention (v.  Dignité en détention : la loi au Journal officiel, Actualités du droit, 9 avr. 2021).
 
 
Une description crédible, précise et actuelle des conditions de détention
Enfin, sur les conditions indignes de détention, la Cour de cassation rappelle qu’en vertu de sa jurisprudence du 8 juillet 2020 (v. Libération d’un détenu pour conditions de détention indignes : c’est désormais possible !, Actualités du droit, 8 juill. 2020) ; le « juge judiciaire a l’obligation de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif permettant de mettre un terme à la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, et qu’il incombe à ce juge, en tant que gardien de la liberté individuelle, de veiller à ce que la détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes et de s’assurer que cette privation de liberté est exempte de tout traitement inhumain et dégradant ».
 
La description doit être suffisamment crédible, précise et actuelle, de sorte qu’elle constitue un commencement de preuve de leur caractère indigne. Dans cette hypothèse, la juridiction est tenue de faire procéder à des vérifications complémentaires afin d’en apprécier la réalité.
 
En l’espèce, la chambre de l’instruction qui a appliqué les principes et normes définis par la CEDH, au vu du rapport transmis par chef d’établissement du centre pénitentiaire, « en a exactement déduit que les conditions de détention de l’intéressé ne caractérisaient pas un traitement inhumain ou dégradant » tant pour la température que le risque d’inondation en raison de la défectuosité du joint de fenêtre. Ces griefs « n’étant pas de nature à remettre en cause l’appréciation des conditions de détention de l’intéressé prise dans sa globalité ».
 
Notons que la Cour de cassation s’est déjà prononcée à plusieurs reprises sur les conditions personnelles de détention, voir notamment :
Demande de mise en liberté et conditions personnelles de détention, Actualités du droit, 26 nov. 2020 : la Haute juridiction, le 25 novembre 2020, casse un arrêt rejetant une demande de mise en liberté fondée sur des conditions de détention indignes, rappelant la nécessité d’apprécier le caractère précis, crédible et actuel des conditions ;
- Détention provisoire et Covid-19 : une demande de mise en liberté rejetée, Actualités du droit, 23 sept. 2020 : dans cet arrêt du 16 septembre 2020, elle affirme qu’un détenu placé à l’isolement ne peut se prévaloir de l’incidence d’une telle mesure sur ses conditions d’incarcération à l’occasion d’une demande ayant trait à la détention provisoire et se prononce sur les conditions de détention dans le contexte de l’épidémie de Covid-19 ;
- Détention provisoire, crise sanitaire et demande de mise en liberté, Actualités du droit, 26 août 2020 : elle confirme dans un arrêt du 19 août, que pour retenir une violation des articles 2 et 3 de la CEDH, le demandeur doit faire état de ses conditions personnelles de détention de façon suffisamment crédible, précise et actuelle pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne.
 
 
 
Source : Actualités du droit