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Qualité pour agir en nullité : la Cour de cassation consolide sa position

Pénal - Procédure pénale
22/11/2017
La chambre criminelle confirme à la fois la possibilité de soulever une QPC concernant la portée d’une interprétation jurisprudentielle constante et sa jurisprudence antérieure restrictive en ce qui concerne la recevabilité de la demande d’annulation des actes de procédure résultant de la mise en œuvre d’une géolocalisation d’un véhicule volé.
Dans le cadre d’une instruction ouverte des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et recel, la personne mise en examen forme une requête en nullité. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles rejette la demande d’annulation de pièces de la procédure. La personne mise en cause forme un pourvoi en cassation et, par mémoire distinct, soulève une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité des dispositions des articles 230-32 à 230-43, 171 et 802 du Code de procédure pénale, telles qu’interprétées de façon constante par la jurisprudence de la chambre criminelle : « en ce qu’elles privent la personne mise en examen de la possibilité de dénoncer la violation des règles applicables en matière de géolocalisation dès lors qu’elle ne dispose d’aucun droit sur l’objet géolocalisé, portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et plus exactement au principe d’égalité des justiciables, aux droits de la défense ainsi qu’au droit à un recours effectif devant une juridiction, garantis par les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? ».

La Chambre criminelle confirme d’abord que les justiciables peuvent contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à la disposition législative en cause (voir not. Cons. const., 6 oct. 2010, n° 2010-39 QPC, JO 7 oct. ; Cons. const., 3 févr. 2016, n° 2015-520 QPC, JO 5 févr. ; Cass. ass. plén., 20 mai 2011, nos 11-90.042, 11-90.025, 11-90.032 et 11-90.033, Bull. crim., nos 5, 6, 7 et 8). La Cour ajoute que cette prérogative existe également « lorsque cette disposition a fait l’objet d’une déclaration de conformité à la Constitution par le Conseil constitutionnel lors de l’exercice par celui-ci de son contrôle a priori ».  Et il est vrai que la loi du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation (L. n° 2014-372, 28 mars 2014, JO 29 mars) a en effet été l’objet d’un contrôle a priori (Cons. const., 25 mars 2014, n° 2014-693 DC, JO 29 mars). Or, on observera que la transmission d’une QPC suppose notamment que la disposition en cause n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution « dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances » (art. 23-2, Ord. n° 58-1067, 7 nov. 1958, JO 9 nov.). L’interprétation jurisprudentielle constante est donc bien, comme d’autres circonstances (de fait ou de droit) affectant la portée de la disposition législative critiquée, un critère de la transmission de la QPC, sans pour autant se confondre avec celui de la nouveauté (sur ce point, voir Cons. const., 3 déc. 2009, n° 2009-595 DC, JO 11 déc., cons. 21), comme l’énonce d’ailleurs la chambre criminelle un peu plus loin dans l’arrêt.

L’interprétation jurisprudentielle dont il est question dans la présente décision est relative à « la recevabilité, revendiquée par une personne, et écartée par ladite Cour, de la demande tendant à contester la régularité d'une géolocalisation mise en œuvre sur un véhicule volé et faussement immatriculé à l'égard duquel elle ne peut se prévaloir d'aucun droit ; que, dans cette seule limite, la question est recevable ». Le contentieux est donc restreint à la géolocalisation, à propos de laquelle la Cour avait déjà eu l’occasion d’énoncer « qu'en dehors du recours, par les autorités publiques, à un procédé déloyal (…), un mis en examen est irrecevable à contester la régularité de la géolocalisation en temps réel d'un véhicule volé et faussement immatriculé sur lequel il ne peut se prévaloir d'aucun droit » (Cass. crim., 7 juin 2016, n° 15-87.755, Bull. crim., n° 174). Pour autant, on notera que cette jurisprudence restrictive de la qualité pour agir en nullité est désormais mise en œuvre à propos de nombreuses autres mesures d’investigations. Après quelques hésitations liées notamment à la jurisprudence européenne (CEDH, 24 août 1998, req. n° 23618/94, Lambert c/ France ; CEDH, 29 juin 2005, req. n° 57752/00, Matheron c/ France), la Cour de cassation a en effet eu l’occasion de confirmer l’irrecevabilité des demandes d’annulation au motif que le demandeur était sans qualité pour se prévaloir de la méconnaissance d'un droit qui appartient en propre à une autre personne, dans le cadre de la garde-à-vue et de l’audition libre (Cass. crim., 14 févr. 2012, n° 11-84.694, Bull. crim., n° 43 ; Cass. crim., 11 févr. 2014, n° 13-86.878, Bull. crim., n° 38), de la perquisition d’un local appartenant à un tiers (Cass. crim., 6  oct. 2015, n° 15-82.247, Bull. crim., n° 217 ; Cass. crim.,14 oct. 2015, n° 15-81.765, Bull. crim., n° 223) ou bien encore d’autres mesures de surveillance de véhicules, parkings et autres locaux (Cass. crim., 23 janv. 2013, n° 12-85.059, Bull. crim., n° 29 ; Cass. crim., 26 juin 2013, n° 13-81.491, Bull. crim., n° 164 ; Cass. crim., 18 déc. 2013, n° 13-85.375, Bull. crim., n° 264 ; Cass. crim., 15 avr. 2015, n° 14-87.616, Bull. crim., n° 90). Aussi, bien que les articles 171 et 802 du Code de procédure pénale, en visant la « personne qu'elle concerne », emploient une expression suffisamment large pour pouvoir englober toute personne ayant intérêt à agir en nullité, seule aura qualité pour le faire, celle titulaire d’un droit subjectif, directement atteint par la mesure d’investigation mise en œuvre.

En ce qui concerne donc spécifiquement la recevabilité de la demande d’annulation des actes de procédure relatifs aux mesures de géolocalisation, la chambre criminelle affirme, plus qu’elle ne démontre, que la question posée, rapportée à l’interprétation constante de la Cour de cassation, ne présente pas un caractère sérieux. En effet, « en subordonnant la recevabilité d’un moyen de nullité pris de l’irrégularité d’une géolocalisation, à la condition que la personne concernée dispose d’un droit sur le véhicule géolocalisé dans le cas où le véhicule a été volé et faussement immatriculé, et hors le cas où serait démontré le recours par les autorités publiques à un procédé déloyal, les textes précités et leur interprétation jurisprudentielle constante opèrent une conciliation équilibrée entre, d’une part, les droits de la défense, ainsi que le droit à un recours effectif devant une juridiction, d’autre part, les principes de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions ». Mais si l’on peut admettre que le droit d’agir en nullité ne doit pas conduire à la possibilité de remettre systématiquement en question la validité de chacun des actes de procédures, la personne mise en cause ne disposera que de la faculté de discuter de la portée probatoire des éléments résultant des opérations contestées, dans le cadre plus général de la discussion relative au bien-fondé de l’accusation (au sens européen du terme) portée contre elle.

En outre, s’agissant du grief tiré de l’atteinte au principe d'égalité, la chambre criminelle rappelle qu’il « ne s'oppose ni à ce que des règles différentes soient appliquées à des situations différentes, ni à ce qu'il soit dérogé à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ». Or, pour la matière qui nous concerne, « la différence de situation entre la personne qui dispose de droits sur un véhicule volé et faussement immatriculé, tels le propriétaire de celui-ci ou la personne à qui il en aurait conféré l’usage, et celle qui n’en dispose pas justifie la différence de traitement induite par l’interprétation constante que la Cour de cassation fait des articles 230-32 à 230-44 du Code de procédure pénale, laquelle est en rapport direct avec l'objet de la loi ». Et si l’on trouvait ici, de manière évidente, le rappel de la finalité protectrice de la norme pénale, dans le cas présent, du droit de propriété ou de l’un de ses attributs ?

On notera en dernier lieu que, comme dans la décision relative à la qualité pour contester la régularité de la géolocalisation d’un véhicule volée rendue en 2016 (précitée) et de la validité de procès-verbaux d’interrogatoires de tiers (Cass. crim., 15 déc. 2015, n° 15-82.013, Bull. crim., n° 289), la Cour de cassation réserve le cas où la mesure contestée serait marquée par le recours à un procédé déloyal de la part des autorités publiques (pour une illustration récente de l’opposabilité du principe, voir « Loyauté de la preuve pénale : l'Assemblée plénière à la lisière du "laisser faire" », Actualité du 10/11/2017). En effet, s’il venait à être démontré (et non simplement allégué) que c’est au prix d’un stratagème, d’une ruse ou d’une manœuvre que les éléments de preuve ont été obtenus, non seulement la recherche de la vérité serait viciée et la preuve ne pourrait servir à fonder une condamnation, mais toute personne intéressée, « concernée », pourrait en contester la validité, même si elle est un tiers à l'acte ou ne dispose d'aucun droit sur l'objet de la mesure. Ceci alors, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, en se fondant vraisemblablement sur l’existence d’une nullité d’ordre public, qui ne nécessite pas la démonstration d’un grief.
 
Source : Actualités du droit